Lettre d’Éric Ciotti à Gabriel Attal

30 mars 2024

Monsieur le Premier ministre,

Je me permets de vous écrire car la situation financière de la France est aujourd’hui catastrophique et met gravement en danger l’avenir des Français.

Le déficit public a atteint 5,5 % de notre produit intérieur brut (PIB) en 2023 au lieu des 4,9 % prévus, bien au-delà des 4,8 % enregistrés en 2022. Notre dette publique a maintenant dépassé les 3 100 milliards d’euros (110,6 % du PIB), pratiquement le tiers de cette dette ayant été accumulé depuis l’arrivée au pouvoir de M. Macron en 2017. Dans le même temps, l’année 2023 n’a pas été celle de la fin du « quoi qu’il en coûte » puisque nos dépenses publiques s’élèvent encore à 57,3 % du PIB, le plus haut niveau d’Europe, alors même que beaucoup de nos services publics essentiels comme la santé, l’éducation, la justice ou la police souffrent. Par ailleurs, le taux des prélèvements obligatoires en France en 2022 (48 % du PIB selon Eurostat) était supérieur de 6,1 points au taux moyen de la zone euro. Il était le plus élevé de la zone euro et de toute l’Union européenne.

Selon la Cour des comptes, la charge de la dette publique devrait poursuivre sa hausse rapide et inquiétante en 2024 pour atteindre 57 milliards d’euros, c’est davantage que le budget de notre Défense nationale ! A la fin du second quinquennat de M. Macron, le service de la dette pourrait atteindre jusqu’à 84 milliards d’euros. Il deviendrait alors le premier poste de dépenses de l’Etat devant le budget de l’Education nationale. Comme un ménage surendetté, nos marges de manœuvre collective pour choisir librement notre destin seront bientôt réduites à néant.

L’irresponsabilité de votre politique budgétaire nous conduit à l’abandon de notre souveraineté. Nous avons perdu toute crédibilité auprès de nos partenaires européens et de la Commission européenne. Alors que certains de nos voisins, comme le Portugal, réussissent à dégager un excédent budgétaire en 2023, la France a perdu tout crédit au sens propre comme au sens figuré. Pire encore, la France cherche à exporter cette gestion catastrophique au niveau européen en généralisant le « quoi qu’il en coûte » dans toute l’Union européenne ce qui se traduira inévitablement par de nouveaux impôts et de nouvelles charges qui nuiront au pouvoir d’achat des Français ainsi qu’à la compétitivité de nos entreprises.

La suite, malheureusement, nous la connaissons : dégradation de la note de la France par les agences de notation, nouvelle hausse des taux d’intérêt qui pénalisera notre économie, poursuite de la spirale infernale de l’endettement public jusqu’à ce que les marchés financiers refusent de nous prêter pour continuer à vivre à crédit. La France risque d’être mise sous tutelle par les institutions européennes ou internationales, à l’image de ce qu’a connu la Grèce il y a quelques années. Cette perspective de déclassement est inacceptable pour un grand pays comme le nôtre.

Le plus grave, Monsieur le Premier ministre, c’est que le Gouvernement a trompé la représentation nationale et la confiance des Français.

L’annonce par l’INSEE le 26 mars dernier du dérapage sans précédent, hors période de crise économique, de la trajectoire de nos finances publiques marqué par un écart de presque 20 milliards d’euros entre votre prévision de déficit public pour l’année 2023 et le déficit public réalisé est l’aboutissement de longs mois qui ont été marqués par l’insincérité.

L’article 47-2 de la Constitution prévoit que : « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères ». L’article 32 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances prévoit quant à lui que : « Les lois de finances présentent de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’Etat. Leur sincérité s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ».

Il est aujourd’hui très clair que ce principe de sincérité budgétaire n’a pas été respecté par le Gouvernement, ni pour le budget 2023, ni pour le budget 2024.

Pour le budget 2023, le seuil d’insincérité budgétaire dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel est estimé, par les spécialistes, à une différence entre le prévisionnel et le réalisé supérieur à 10 milliards d’euros. Avec un écart de presque 20 milliards d’euros en 2023, tous les records sont tombés. Il est très improbable que les services du ministère des finances qui sont très compétents et rompus à la prévision budgétaire n’aient pas anticipé un tel dérapage et n’en aient pas informé le Gouvernement au plus tard à l’automne dernier. D’ailleurs, une note datée du 7 décembre 2023 montre que les directions du Trésor et du Budget ont alerté par écrit du dérapage du déficit public au-delà de 5 % du PIB.

Pourtant, il aura fallu un contrôle sur pièces et sur place au sein du ministère des finances du sénateur Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, le 21 mars 2024 pour que votre ministre des Finances accepte enfin d’informer le Parlement et les Français de la gravité de la situation de nos finances publiques et de l’explosion du déficit.

Pour l’année 2024, dès septembre 2023, le Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP) avertissait que votre prévision de croissance était irréaliste : « En 2024, la prévision de croissance (+ 1,4) (…) est supérieure à celle du consensus des économistes (+ 0,8 %) ». Malgré cet avertissement, le Gouvernement a persévéré et a fait adopter un budget 2024 en ayant recours à l’article 49 alinéa 3 de notre Constitution tout en sachant pertinemment que ses prévisions de réduction du déficit public étaient inatteignables.

Cette gestion financière irresponsable des comptes de la nation doit prendre fin immédiatement et toute la transparence doit être faîte quant aux responsabilités de chacun.

Cette insincérité budgétaire aura des conséquences sur la façon dont l’Union européenne jugera l’état de nos finances publiques en application du pacte de stabilité et de nos engagements européens. Vous aurez à en rendre compte devant la représentation nationale lors de la présentation de la prochaine loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’État pour 2023.

Je vous demande solennellement, plutôt que de faire marcher à plein régime, par voie réglementaire, la politique du rabot sans aucune stratégie d’ensemble, à présenter au plus vite au Parlement un projet de loi de finances rectificative pour l’année 2024 de façon à ce que la représentation nationale puisse débattre de la situation de nos finances publiques et prendre les décisions courageuses qui s’imposent.

Monsieur le Premier ministre, beaucoup de nos compatriotes se demandent s’il y a encore un pilote dans l’avion tant les finances de notre pays décrochent alors que le moindre découvert bancaire ou le moindre trou dans leur trésorerie leur est reproché sans délai.

Quand allez-vous enfin prendre conscience de la gravité de la situation et agir concrètement pour diminuer les dépenses publiques et redresser les comptes de la France ?

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de ma très haute considération.

Éric Ciotti
Président des Républicains

En savoir plus sur les Républicains

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading