Laurent Wauquiez : « Mon combat contre une culture à deux vitesses »

30 mai 2023

Villipendé pour ses choix en matière de politique culturelle, le président LR de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, champion putatif de la droite pour 2027, réplique. Et dénonce l’« entre-soi » et le « parisianisme ».

« Opacité totale », « absence de dialogue », « dérive autoritaire et populiste »… Les coupes dans les subventions culturelles actées par le conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes dans le cadre de son budget pour 2023 ont valu à son président, Laurent Wauquiez, une avalanche de critiques et de tribunes indignées. Selon l’opposition socialiste et écologiste de la Région, ce sont entre 600 000 et 1 million d’euros de subventions qui ont été supprimées, après une première réduction de 4 millions d’euros au printemps 2022. Elle dénonce des décisions qui frappent principalement les métropoles de Lyon et Grenoble, dirigées par des maires écologistes. Quelque 200 personnalités du monde culturel, dont quatre anciens ministres de la Culture – Roselyne Bachelot, Jean-Jacques Aillagon, Aurélie Filippetti et Philippe Douste-Blazy – ont protesté, dans une tribune publiée dans Le Monde, contre la suppression de la subvention annuelle du Théâtre Nouvelle Génération (TNG) de Lyon. Son directeur, Joris Mathieu, avait récemment critiqué « l’orientation idéologique » des choix budgétaires de Laurent Wauquiez et ses « dérives autocrates », en pointant une « forme de terreur » dont « le but implicite est de réduire au silence et de dominer ». Depuis, le tollé est tel qu’il a franchi les frontières de la Région. La ministre de la Culture, Rima Abdul Maïak, a ainsi évoqué le 18 mai lors de l’émission C ce soir, sur France 5, le « néopopulisme de Laurent Wauquiez ». L’intéressé répond.

Dans une tribune publiée récemment dans Le Monde, quatre anciens ministres de la Culture, dont Roselyne Bachelot, et 200 acteurs culturels vous accusent d’avoir « déshonoré » votre Région en coupant les subventions du Théâtre Nouvelle Génération (TNG) à Lyon. Son directeur, Joris Mathieu, avait par ailleurs critiqué votre politique. Que leur répondez-vous ?

Quel crime ai-je donc commis qui vaudrait excommunication culturelle ? Quand j’ai repris la Région à la gauche, le budget de la culture était de 59 millions d’euros. Il est aujourd’hui de 77 millions. A l’époque, 300 festivals étaient soutenus par la Région. Aujourd’hui, ils sont plus de 500. Cette année, 390 subventions ont été reconduites, 80 augmentées, 80 nouvelles attribuées et, c’est vrai, 30 ont été réduites. Voilà le grand forfait qui me vaut cette avalanche de dénonciations. Cela révèle surtout une dérive dangereuse de notre politique culturelle. Le ministère de la Culture est devenu un guichet, une machine à faire tourner les subventions qu’une petite poignée de personnes considèrent comme un dû, comme l’avait dénoncé [l’académicien et critique littéraire] Marc Fumaroli. Recevoir de l’argent public, ce n’est pas un droit, ni un outil pour gérer une clientèle du ministère de la Culture. C’est plutôt un devoir car cela implique une responsabilité.

Vous êtes accusé d’attribuer les subventions de la Région sur des critères politiques…

Ce qu’on me reproche surtout, c’est d’avoir mis un coup de pied dans la fourmilière en m’attaquant à un tabou français : la profonde injustice de notre politique culturelle et l’inégalité criante dans l’accès à la culture sur le territoire. Dans notre pays, la majorité des crédits du ministère de la Culture sont réservés à Paris, à la Région Ile-de-France et à quelques métropoles. On a construit une culture à deux vitesses. Selon les dernières données accessibles, qui datent de 2019, le ministère de la Culture consacre huit fois plus d’argent, en euros par habitant, à l’Ile-de-France qu’au reste du pays : près de 195 euros par Francilien, contre 24 euros dans les autres Régions. La Région capitale représente moins de 20 % de la population française, mais 62 % du budget du ministère de la Culture ! C’est une terrible injustice. N’est-ce pas une marque de mépris d’une violence inouïe pour le reste du territoire ? Dans un rapport parlementaire, la députée de la Drôme Emmanuelle Anthoine a montré que, en 2021, près de 70 % des crédits de l’Etat au titre de la politique du patrimoine ont bénéficié à la seule Région Ile-de-France. 70 % ! N’y a-t-il pas d’autres châteaux en France ? D’autres églises à sauver ? Voilà ce qui devrait indigner le milieu culturel, la ministre de la Culture et Roselyne Bachelot. Il y a dans notre pays des déserts culturels comme il y a des déserts médicaux. Quand 55 % des Parisiens vont au théâtre au moins une fois par an, ils sont à peine 17 % dans les communes rurales. 63 % des Parisiens visitent un musée ou une exposition au moins une fois par an, mais seulement 24 % de ceux qui vivent dans des villes de moins de 20 000 habitants. Ce fossé n’a jamais été comblé.

Est-ce une tendance qui s’aggrave, selon vous ?

Ce qui est sûr, c’est que rien n’est fait pour corriger ce phénomène. J’ai subi les foudres de l’entre-soi culturel parce que, précisément, le rééquilibrage est la ligne directrice de ma politique. Je veux accorder la même attention au théâtre de Lyon, qui a la chance de bénéficier de centaines de milliers d’euros de financement de l’Etat, qu’à celui d’Oyonnax qui, lui, est totalement oublié de la ministre de la Culture. D’ailleurs, je n’ai entendu personne s’émouvoir quand le festival Musilac à Aix-les-Bains était menacé. Les grandes indignations et les lettres ouvertes ne valent-elles que pour certaines institutions des métropoles ? Pourtant, si vous remontez aux racines de la politique culturelle, Léon Gambetta, inspirateur du premier ministère des Arts, avait très bien compris que, pour que la République tienne, il fallait faire rayonner Paris, mais aussi veiller à installer la petite bibliothèque au Puy-en-Velay, le musée dans chaque ville, le théâtre qui permette d’ouvrir la culture sur tous les territoires. En 1946, le préambule de notre Constitution affirmait la nécessité d’un égal accès pour tous à la culture. [Le metteur en scène] Jean Vilar, quand il lance la grande dynamique des festivals en France, veut porter cette ambition. Comment ce « pour tous » est-il devenu « uniquement pour Paris » ?

Vos coupes budgétaires frappent Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand, dirigés par vos adversaires politiques, quand vos électeurs, eux, sont plutôt dans les zones rurales. Est-ce une coïncidence ?

Ça n’a pas de sens. Quel est en ce moment le seul grand projet culturel à Lyon ? Le musée des Tissus que la Région a sauvé de la fermeture avec le grand architecte Rudy Ricciotti. Nous soutenons la candidature de Clermont-Ferrand au titre de capitale européenne de la culture ! Mon seul sujet, c’est la lutte contre les déserts culturels. Ma porte reste ouverte pour ceux qui partagent avec nous cette volonté de changer cela. Mais j’assume de mener ce rééquilibrage, car si on ne change rien à la politique culturelle, rien ne changera. Prenons l’exemple de l’Opéra de Lyon…

Auquel vous aviez sabré 500 000 euros l’an dernier…

Quand l’Opéra de Lyon ne se consacrait qu’à des spectacles lyonnais, la Région a réduit sa subvention, oui, bien sûr. Mais ils ont réfléchi et sont revenus vers nous avec un nouveau projet très innovant qui nous a séduits. Résultat : l’Opéra de Lyon va se projeter dans les territoires ruraux avec des formes d’opéra plus réduites, comptant seulement quelques musiciens et chanteurs, qui pourront se produire dans des salles polyvalentes ou des gymnases de lycées. Faire découvrir l’opéra dans des lieux où on n’a jamais eu la chance de pouvoir assister à une représentation, n’est-ce pas là aussi le sens de la culture ?

Que dites-vous au directeur du TNG ?

Que ma porte est ouverte, à condition qu’il ait envie de sortir de son théâtre pour aller apporter la culture hors des territoires métropolitains, à des gens qui n’ont pas la chance d’y avoir accès. N’a-t-on rien appris depuis les Gilets jaunes ? N’a-t-on rien compris du danger d’avoir une France à deux vitesses ? Et la ministre de la Culture doit s’expliquer sur ce sujet au lieu d’esquiver. Je lui demande de faire la transparence sur la répartition par territoires des crédits du ministère et je lui pose cette question toute simple : comment allez-vous corriger cette terrible injustice dans l’accès aux crédits de la Culture ? N’attendons pas que les Français viennent pousser les portes des institutions culturelles des grandes villes. C’est à nous d’aller les chercher, et partout. C’est cette ambition que je porte : que la culture soit aussi un moyen de réconcilier les Français. Dans les périodes de tension que nous vivons, y a-t-il plus belle ambition pour la culture dans une société ?

Quel est le rapport avec les Gilets jaunes ?

Au fond, c’est toujours la même question. On dit à certains : vous êtes des pollueurs ; votre monde est celui d’hier ; les hôpitaux et les services publics, c’est chez vous que ça ferme… Et la culture, les expositions, les représentations, ce n’est jamais chez vous. Arrêtons d’opposer deux France, il y a une France qui a droit à la même promesse d’accès à la culture.

La ministre de la Culture, Rima Abdul Maïak, vous accuse de néopopulisme…

Défendre les territoires, c’est être populiste ? Essayer de faire en sorte que chacun ait accès à la culture, cela vaut donc accusation de néopopulisme, dans la bouche d’une ministre de la Culture dont on est bien en peine de dire quelle est sa politique culturelle, et qui ferait mieux de sortir de l’entre-soi et du parisianisme. Mais comment ne pas comprendre que la culture est belle quand elle est populaire, justement ? Quand elle est capable d’emmener tout un peuple. J’ai aussi entendu qu’on me reprochait de mener une culture patrimoniale. Eh bien oui, je confesse ce qui semble être un crime aux yeux de certains : je suis très engagé pour la préservation de notre patrimoine ! Et, oui, nous menons une politique ambitieuse en consacrant 26 millions d’euros à plus de 800 opérations de restauration d’édifices. Parce que je crois, comme le disait si bien Hannah Arendt, que l’innovation est toujours une efflorescence de la conservation. Quand Roselyne Bachelot explique qu’il y a des milliers d’églises en France et qu’on n’a pas d’autre choix que d’en laisser tomber en ruines, je ne partage en rien ces propos.

Vous coupez les subventions à certains projets, mais consacrez 40 millions d’euros à un projet de musée gaulois à Gergovie. Menez-vous une politique culturelle de droite ?

Vous ne trouvez pas que c’est un beau projet de faire un grand musée de l’histoire gallo-romaine et des Arvernes ? Il faut une couleur politique, maintenant, pour vouloir transmettre notre histoire ? Ces critiques n’ont pas de sens ! Je verse des subventions à 500 structures culturelles sans exercer de contrôle ni demander un droit de regard. Mais, oui, il y a bien un risque de censure culturelle dans notre pays, et ce risque est du côté de ceux qui exigent qu’on abatte des statues, qui s’attaquent à la langue française, qui font annuler des conférences, qui obligent Frédéric Beigbeder à se déplacer avec une escorte policière, qui veulent retoucher les œuvres d’Agatha Christie. 11 est là, le vrai combat, contre cette idéologie de la déconstruction qui fait régner sa politique de terreur. Aux acteurs culturels, je dis : attention. Quand un écrivain doit tenir une conférence sous protection policière, la liberté de création est menacée. Certains veulent-ils restaurer la police de la pensée ? Je vois venir le temps où certains auront droit à la parole quand d’autres seront bâillonnés. Et je m’y refuse.

Des concerts, comme celui de Bilal Hassani à Metz, sont aussi annulés en raison de menaces de catholiques intégristes. Que vous inspirent ces incidents ?

La même condamnation. Je suis pour la liberté d’expression et la liberté culturelle. Mais soyons lucides. La grande menace aujourd’hui est du côté de cette idéologie de la déconstruction et de l’autocensure à laquelle elle astreint petit à petit le milieu culturel. Les indignations sont parfois à géométrie variable et j’aimerais aussi les entendre quand l’idéologie wokiste fait subir sa pression sur les artistes.

>> Lire l’interview sur LeJDD.fr

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