La dette française est écrasante : allongeons sa durée dans l’intérêt de la jeunesse

10 février 2021

L’annulation de la dette colossale de la France est à exclure, car elle ruinerait les épargnants français eux-mêmes et échauderait gravement les investisseurs. Il faut en revanche étendre sa durée moyenne comme l’ont fait d’autres pays occidentaux, argumentent François Baroin, Agnès Evren et Aurélien Pradié.

Il en va de la dette publique comme de la situation sanitaire : le comportement de nos concitoyens témoigne de leur scepticisme à l’égard du gouvernement. Lorsque le gouvernement hésite sur le reconfinement, les Français anticipent qu’il est probable et prennent leurs précautions. Lorsque le gouvernement affirme que la dette publique sera remboursée par la croissance et sans hausse d’impôts, ils épargnent pour faire face à des réalités moins optimistes.

Certes l’épargne record des Français est stérilisée par l’impossibilité de se cultiver, de se divertir, de voyager ou par la crainte de perdre son emploi et de ne pouvoir financer ses projets. Et de plus en plus de nos concitoyens vivent une précarité et des difficultés qui ne feront que s’accentuer dans les mois à venir. Mais comment ne pas voir aussi dans cette épargne forcée une méfiance atavique envers les discours magiques prédisant que la croissance – et pas leurs impôts – permettra de rembourser cette montagne de dette (120 % du PIB à la fin 2020, contre moins de 100 % à la fin de l’année dernière) ?

Les Français ont en tête que, lors de la dernière crise des dettes souveraines en Europe entre 2009 et 2012, ces ratios d’endettement étaient qualifiés de « non soutenables » pour plusieurs pays de la périphérie de l’Europe. Des mécanismes de soutien par la collectivité des États européens – et Nicolas Sarkozy avait eu à l’époque un rôle moteur dans leur mise en place -, l’action résolue de la Banque centrale européenne… et une rigueur drastique dans les pays concernés ont seuls permis un redressement de la situation.

Dans ce débat qui monte sourdement chez les Français, que de nombreux économistes de renom ont documenté et dont les responsables politiques s’emparent désormais, nous pensons qu’il vaut mieux dire clairement aux Français ce à quoi il faut s’attendre – afin que la crise ne s’autoalimente pas de la défiance de nos concitoyens et des investisseurs internationaux.

Est-il raisonnable de dépenser sans compter pour soutenir notre économie pendant le pic de la crise sanitaire ? La réponse est oui. Et, bien inspirés du précédent de 2010, les dirigeants allemands aussi ont changé leur vision sur le calendrier du redressement budgétaire d’après-crise.

Faudra-t-il conserver des marges de manœuvre budgétaire en sortie de crise sanitaire pour relancer l’économie ? La réponse est encore oui. Et il est regrettable que le fonds de relance européen, mis en œuvre avec retard, devienne chaque jour plus faible en regard des sommes engagées dans la simple « perfusion » de nos économies. Environ 0,8 % du PIB européen par an en subventions sur trois ans, est-ce encore à la hauteur des enjeux ?

Faut-il annuler la dette publique d’une manière ou d’une autre ? Notre expérience de la crise financière de 2010 nous montre qu’à l’évidence, faire ce choix pour les 25 % de la dette publique européenne détenue par la Banque centrale européenne (BCE) serait tout à fait contre-productif. Outre que cela est interdit par les traités européens, la BCE a trouvé une solution équivalente consistant à neutraliser la dette Covid (et même un peu au-delà d’ailleurs) en la faisant « rouler » sur du très long terme. Nous souscrivons à l’idée que cette dette Covid devrait être perpétuellement dans les livres de la BCE, mais personne – surtout pas la BCE – ne le dira publiquement. À l’inverse, on peut dire que les marchés financiers, eux, l’ont bien anticipé à défaut de l’avoir entendu. Et si demain la BCE changeait d’avis, elle prendrait à coup sûr le risque de raviver des tensions dangereuses pour la cohésion de la zone euro.

Faut-il annuler la dette publique non détenue par la BCE ? Là encore, alors que la France a prévu de lever près de 300 milliards d’euros en 2021, le simple fait de l’envisager risque de détourner les investisseurs qui prêtent au Trésor public français de quoi financer nos dépenses courantes. Il n’aura échappé à personne qu’un défaut sur la dette, c’est aussi une spoliation de l’épargne des Français, qui détiennent directement ou indirectement (via leur assurance-vie par exemple) près de la moitié de la dette nette négociable de l’État.

Au contraire, c’est bien parce qu’il nous faut la confiance des Français (pour consommer, pour investir) et celle des investisseurs internationaux (qui nous prêteront de l’argent pour relancer notre économie, qui investissent en implantant des activités sur notre territoire) qu’il nous faut collectivement les assurer que la dette sera remboursée et que notre cadre fiscal sera stabilisé et attractif.

Avec des taux d’intérêt à court terme négatifs, la France fait une bonne affaire en s’endettant. Mais qu’en sera-t-il demain ? Au regard de la faiblesse des taux actuels et de l’horizon d’investissement des fonds consacrés à la relance, il nous semble pertinent d’allonger la durée moyenne de la dette française (8 ans aujourd’hui contre 15 ans au Royaume-Uni par exemple) et notamment de développer les emprunts de 50 ans voire davantage.

Ainsi la génération qui entre aujourd’hui sur le marché du travail, et qui va le plus souffrir de la crise économique en cours, ne portera pas le fardeau de la solidarité entre les âges que nous avons mise en œuvre « quoi qu’il en coûte ». Poser donc la question de la dette, ce n’est pas poser, aujourd’hui, la question à des spécialistes budgétaires, c’est questionner chaque Français contemporain de cette épidémie et s’interroger sur son avenir et celui des générations de demain.

Au-delà de la question de la dette, un large débat public doit s’ouvrir, qui dépasse le débat d’experts, pour élaborer une vraie stratégie de la dépense publique : quels moyens pour la santé, l’éducation, la sécurité et la justice mais aussi quels moyens pour une relance économique pilotée par les collectivités territoriales elles-mêmes ? Quelles nouvelles étapes dans la construction européenne pour une Europe plus agile, plus réactive, mais aussi financièrement plus solidaire, ce qui passe par une harmonisation fiscale plus poussée et des transferts budgétaires supplémentaires au bénéfice des régions européennes les plus touchées par la crise.

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