Jean Leonetti : « Notre société est plus émotionnelle que raisonnable »

27 janvier 2023

La convention citoyenne doit rendre ses travaux sur la fin de vie au mois de mars, avant une possible nouvelle loi. L’ancien ministre et député Les Républicains, Jean Leonetti, corapporteur de la loi Claeys-Leonetti de 2016, estime que les débats ont pris « une mauvaise orientation ».

La convention citoyenne sur la fin de vie a débuté sa phase délibérative. Que répondriez-vous à la question qui lui est posée : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » ?

Aucune loi ne peut répondre à chaque demande individuelle. Accompagner les gens en fin de vie relève à mes yeux bien plus des moyens et de l’organisation des soins palliatifs en France que d’une modification législative. Mais ne soyons ni naïfs ni hypocrites : en réalité, la discussion qui est lancée depuis plusieurs mois porte sur le droit de donner la mort à celui qui la demande. Le président de la République a lui-même expliqué qu’il voulait s’inspirer du modèle belge (qui autorise le suicide assisté et l’euthanasie).

Précisément, les sondages montrent qu’une grande majorité de Français est favorable à l’aide active à mourir. Accorder ce droit n’est-il pas tout simplement démocratique ?

Notre société est plus émotionnelle que raisonnable. Mais la fin de vie est un sujet intime d’une rare complexité. Si vous modifiez la loi aujourd’hui, ce n’est pas pour améliorer ce qui existe déjà. Il s’agit de passer du Code civil au Code pénal, lequel interdit de donner la mort. La réflexion sera plus claire si on explique que, dans certaines circonstances, on pourra donner la mort. Pour ma part, je pense que c’est une mauvaise orientation. D’abord, parce que cette question concerne une part infime de la population. Ensuite, parce que le débat devrait plutôt se tenir autour de notre rapport à la vieillesse et à la dépendance. Face à la déstabilisation de notre système de santé, à la situation dans nos Ehpad et à la pauvreté des soins palliatifs en France, il faudrait d’abord se poser la question des moyens mis en œuvre pour régler ces problématiques. J’aurais aimé avoir un débat public plus large. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : les comités d’éthique régionaux n’ont par exemple pas été sollicités.

Comment expliquez-vous le revirement du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui s’est déclaré favorable à l’aide active à mourir dans son dernier avis ?

Il a changé d’avis parce qu’on a changé les membres de ce comité. Le président Jean-François Delfraissy et d’autres, comme l’ancien député Alain Claeys, portent cette ouverture à une loi favorable au suicide assisté ou à l’euthanasie. En réalité, cela pose le problème de l’impartialité de ce comité, qui, à mon avis, devrait être élu par ses pairs et non pas nommé par le pouvoir exécutif. Cela vous paraît-il normal qu’à quelques mois d’intervalle le comité arrive à des conclusions aussi différentes ? Entre-temps, il n’y a pourtant pas eu d’avancée de la médecine sur le sujet du suicide en général, ni du suicide assisté en particulier.

La désignation d’Olivier Falorni (MoDem) – fervent partisan de l’ouverture à l’aide active à mourir – à la tête de la mission d’évaluation parlementaire de la loi Claeys-Leonetti présage-t-elle déjà de l’issue du débat ?

J’ai de bonnes relations avec le député Olivier Falorni, je respecte ses convictions, mais on sait qu’il est identifié sur le sujet, il ne s’en est jamais caché. On aurait pu essayer de trouver un candidat qui donne au moins l’apparence de plus de neutralité. On nous explique que la mission doit aboutir dans les trois mois qui viennent. Jusqu’à présent, elle ne s’est pas rendue dans un système de soins palliatifs, alors que ce sont des questions où l’on doit être au contact des gens et pas dans un bureau. Je ne mets pas en cause l’honnêteté de ceux qui sont aux manettes, mais, comme disait Jean-Paul Sartre: « Quand je délibère, les jeux sont faits. » Je peux déjà vous livrer ma propre conclusion aujourd’hui : pour améliorer réellement la situation en fin de vie, il faut doter d’au moins une unité de soins palliatifs les 26 départements qui n’en ont pas et leur donner plus de moyens.

Les fractures sont importantes entre, d’une part, les partisans de l’euthanasie et du suicide assisté, et, d’autre part, ceux qui s’y opposent. Comment peut-on sortir de cette binarité ?

En France, les gens qui travaillent dans le secteur palliatif sont farouchement opposés à l’euthanasie. Ils considèrent que donner la mort n’est pas un soin. Je suis d’accord avec eux. Depuis longtemps, je défends l’idée selon laquelle la loi doit trouver un équilibre entre l’autonomie de la personne qui souhaite mourir et le collectif qui se doit de la protéger. Actuellement, le curseur le plus acceptable socialement – pas philosophiquement -, c’est peut-être le suicide assisté tel qu’il est pratiqué dans l’Oregon (États-Unis). C’est du moins celui qui entraînerait le moins de difficulté, et le moins de dérives comme on a pu le voir en Belgique. Dans cet État, le suicide assisté est possible si vous avez un pronostic vital engagé à moyen terme et que vous savez que vous allez mourir de la maladie pour laquelle on ne peut pas vous sauver. On vous remet des médicaments que vous pouvez prendre, ou ne pas prendre. D’ailleurs, 40 % des gens finissent par ne pas les prendre. Une fable de La Fontaine s’achève par ces mots : « Le plus semblable aux morts, meurt le plus à regret. » Plus on avance vers la mort, moins l’on a envie de mourir, c’est une chose assez habituelle. Ce système donne un accès à ceux qui veulent mourir sans impliquer grandement la société. Mais ce raisonnement vaut jusqu’à une certaine limite car même cette solution représente une transgression majeure de la solidarité.

Le suicide assisté serait donc un moindre mal ?

Je ne suis pas un défenseur du suicide assisté, je fais une analyse. Si on ne veut ni déstabiliser les soins palliatifs ni s’opposer frontalement au corps médical qui est très défavorable à porter la responsabilité de donner la mort, on pourrait externaliser le sujet en autorisant le suicide assisté. Mais cette assistance reste contradictoire dans la philosophie et dans l’acte : je me suicide mais je demande à l’autre d’exécuter ma volonté.

>> Lire l’interview sur Marianne.net

%d blogueurs aiment cette page :