Bruno Retailleau : « Ce budget, c’est le hold-up du siècle »
Exclusif. Pour le président des Républicains, le Premier ministre Sébastien Lecornu s’est lié les mains avec le Parti socialiste.
Le patron des Républicains (LR) et ex-ministre de l’Intérieur ne mâche pas ses mots contre le budget 2026 et la suspension de la réforme des retraites. « C’est du pur cynisme, dit-il, le gouvernement hypothèque notre avenir collectif pour se maintenir quelques semaines, quelques mois de plus ». Il affirme que Sébastien Lecornu « s’était engagé auprès de (lui) à ne pas toucher à cette réforme ».
Le volet “recettes” du projet de loi de finances a été rejeté par les députés vendredi soir. Quelle est votre réaction ?
BRUNO RETAILLEAU. Un seul député a voté pour : tout ce temps perdu, c’est une mascarade, un fiasco. Devant un tel spectacle, je comprends que les Français soient dégoûtés de la politique. La soi-disant habileté que le gouvernement tente de nous vendre depuis des semaines n’est en fait qu’une triste pantomime.
Ce budget ne résout donc rien ?
Ce budget, c’est le hold-up du siècle. C’est à la fois un hold-up fiscal, un hold-up social et un hold-up démocratique. Il y a bien une majorité à l’Assemblée nationale : celle du parti fiscaliste, qui va de LFI jusqu’au Rassemblement national. Les députés de Marine Le Pen ont voté 34 milliards de hausses d’impôts en 24 heures. On matraque comme jamais le contribuable.
Hold-up social ensuite, puisqu’on a déjà fait les poches des futures générations avec la suspension de la réforme des retraites. Et puis, il y a le hold-up démocratique. Le PS a mis la main sur le gouvernement alors que la France n’a jamais été autant à droite. Son Premier secrétaire, c’est le Premier ministre. Olivier Faure décide. Sébastien Lecornu, lui, s’exécute.
Les sénateurs viennent de voter le gel du barème de la CSG pour les retraités et les chômeurs, ils ont rétabli la taxe sur les complémentaires santé. N’est-ce pas contradictoire ?
Le budget, tel qu’il a évolué à l’Assemblée, va conduire à un déficit sans doute supérieur à 5 %, peut-être 5,3 %. Qu’on ne vienne pas nous dire qu’il y a un véritable effort ! Le Sénat a une position raisonnable : moins d’impôts et plus d’économies. Nous voulons revenir bien en dessous de 5 %, à 4,7 % du PIB, tout en supprimant notamment la taxe sur les titres-restaurant ou la taxe plastique. Nous diminuerons la surtaxe pour l’impôt sur les sociétés et nous limiterons strictement la taxe sur les holdings familiales et le pacte Dutreil aux seuls biens somptuaires.
Nous reviendrons sur les folies fiscales de LFI et du RN, comme la taxe sur le patrimoine improductif, qui taxe les livrets A et les contrats d’assurance-vie, c’est-à-dire l’épargne des familles. Avec plus de 30 milliards d’euros d’économies, le Sénat ira au-delà de celles que comptait faire le gouvernement, alors qu’on en est désormais à un budget de 53 milliards d’impôts supplémentaires.
Comment ?
En assumant, par exemple, le non-remplacement de tous les fonctionnaires qui vont partir à la retraite. Nous réduirons drastiquement les crédits sur les agences qu’il ne faut pas avoir peur de supprimer. Nous supprimerons l’AME en la transformant en une aide médicale d’urgence. Les Français en ont marre de toujours payer plus alors que les clandestins ont désormais, pour un certain nombre de soins, des taux de couverture supérieurs à ceux qui travaillent et cotisent. Bien entendu, nous supprimerons la suspension de la réforme des retraites, qui est d’une démagogie sans nom. Cette suspension est terrible : elle va installer le règne de l’impuissance publique.
Pourquoi ?
Désormais, dès que l’on fera des réformes un peu courageuses, les professionnels de l’agitation sauront que, malgré le vote de ces réformes, on pourra les abroger. C’est le chaos pour l’avenir. Cette suspension est catastrophique.
Sébastien Lecornu s’est engagé auprès des socialistes sur cette suspension. Votre action au Sénat est avant tout symbolique ?
Sébastien Lecornu s’était engagé auprès de moi à ne pas toucher à cette réforme, lors des négociations sur le contrat de gouvernement. Cette suspension, c’est du pur cynisme : le gouvernement hypothèque notre avenir collectif pour se maintenir quelques semaines, quelques mois de plus. Tout cela est lamentable.
Cette suspension est donc un facteur de blocage ?
Il ne peut pas y avoir d’accord en commission mixte paritaire sur cette base-là. Si le niveau de vie d’un Italien dépasse désormais celui d’un Français, c’est à cause des vieilles lunes socialistes qu’on est en train de nous resservir. On nous a dit : travaillez moins et vous vivrez mieux. C’est un mensonge. La malédiction française, c’est qu’il n’y a pas assez de travail. Un Français travaille trois années de moins qu’un Européen au cours d’une vie. C’est moins de richesses et moins de prospérité. Il n’est pas question que nous endossions une politique socialiste. C’est cette politique-là qui a amené la France dans le mur.
En revenant à 4,7 % de déficit, vous risquez de braquer les socialistes et de bloquer le débat budgétaire…
Le pire, c’est d’avoir un mauvais budget, qui précipite la France dans le chaos.
Il n’y aura donc pas de budget au 31 décembre ?
En cas de blocage, il y aura une loi spéciale reconduisant, dans un premier temps, le budget 2025. Il vaut mieux une loi spéciale plutôt qu’un budget qui continuera à déclasser la France et à appauvrir les Français.
Les commissions mixtes paritaires sur le PLF et le PLFSS ne seront pas conclusives ?
Rien n’est jamais acquis. Mais au Sénat, il y a un consensus très large : un consensus de responsabilité pour refuser ce qui est mauvais pour le pays et pour les générations futures.
Est-ce que Sébastien Lecornu a commis une erreur en renonçant au recours au 49.3 ?
En renonçant au 49.3, Sébastien Lecornu s’est lié les mains, puis les a tendues aux socialistes en leur offrant la suspension de la réforme des retraites et une montagne d’augmentations d’impôts. On habille tout cela avec de grands mots : on se cache derrière le parlementarisme pour dissimuler un « aplaventrisme ».
Pourquoi arriverions-nous en janvier à ce qui était impossible en décembre ?
J’imagine que le gouvernement mise sur l’approche des municipales pour imposer un budget rectificatif non censuré. Mais tout cela repose sur la bonne volonté des socialistes. On est encore dans la petite tactique alors que la situation de la France est catastrophique.
Le Parisien a révélé le projet du gouvernement d’augmenter la taxe foncière. Est-ce acceptable ?
C’est un scandale ! Les Français se réveillent avec de nouveaux impôts. Désormais, une baignoire, l’eau courante ou des WC vont entraîner une hausse de taxe foncière. On marche sur la tête. Il ne faut pas s’étonner que le logement et le bâtiment soient en crise. Nous décourageons les investisseurs depuis dix ans. Les jeunes n’ont plus les moyens de devenir propriétaires.
Félicitez-vous le gouvernement d’avoir réussi à faire libérer Boualem Sansal d’Algérie ?
Je pense que c’est surtout l’Allemagne qui a obtenu cette libération. Mais je me félicite qu’il ait été libéré.
Laurent Nuñez a été critique de votre méthode quand vous étiez à Beauvau. Des regrets ?
Non. Regardez Christophe Gleizes, journaliste arrêté en Algérie en 2024 : il n’a toujours pas été libéré. Quand on ne se bat pas pour une libération, on n’obtient rien. Fallait-il que la France accepte deux otages sans rien dire ? Fallait-il accepter les barbouzeries des services algériens ? Au nom de quoi la France devrait accepter d’être humiliée ?
Sur le narcotrafic, l’assassinat de Mehdi Kessaci ne montre-t-il pas que le combat est perdu ?
J’ai engagé ce combat bien avant d’être ministre. Au Sénat, j’avais demandé une commission d’enquête transpartisane. La loi sur le narcotrafic s’en inspire, avec un parquet national dédié et un état-major unique. Cette loi est fondamentale mais ne s’applique pas encore. Le parquet national ouvrira en janvier. Déjà, nous obtenons des résultats. À Marseille, le patron du clan Yoda, Félix Bingui, est sous les barreaux. Je ne doute pas que nous viendrons à bout de la DZ Mafia.
Le maire PS de Marseille, Benoît Payan, vous met en cause sur la suppression d’un préfet de police de plein exercice. Que lui répondez-vous ?
Benoît Payan est l’un des maires les plus laxistes. Il porte une part de responsabilité dans la délinquance. Il voit les municipales arriver et se défausse sur l’État. La préfecture de police existe toujours, mais elle est reliée au préfet : c’est plus efficace. Si le système bicéphale avait changé la donne, cela se saurait.
Selon le chef d’état-major des armées, la France doit être prête à “accepter de perdre ses enfants à la guerre”. Qu’en pensez-vous ?
On a exagéré la portée de ses propos. Les termes et le lieu étaient mal choisis. Mais la force d’une nation réside dans sa force morale. C’est ce que les Grecs disaient : la force d’une cité, ce n’est pas seulement ses remparts, c’est la force de ses citoyens. Cette force d’âme est nécessaire pour lutter contre l’islamisme, notre ennemi intérieur.
Vous avez rouvert le chantier de la primaire à droite. Quel calendrier ?
Je souhaite que nos adhérents puissent choisir les modalités de désignation de notre candidat en début d’année prochaine. Je vais installer un groupe de travail pour auditionner ceux qui veulent s’exprimer et récapituler les pistes.
Laurent Wauquiez travaille de son côté sur la primaire. Il vous double ?
Comme Michel Barnier, Xavier Bertrand ou David Lisnard, il a le droit de donner son avis. Mais ce ne seront pas les grands élus qui décideront : ce seront les adhérents. J’ai promis, et je tiendrai parole.
Plusieurs députés LR menacent de ne plus payer leurs cotisations. Que leur dites-vous ?
Je n’imagine pas qu’un député LR élu grâce au soutien des militants prenne une décision qui pourrait mettre le parti en péril. Ce n’est dans l’intérêt de personne d’affaiblir notre famille politique alors qu’elle commence à se redresser.
>> Lire l’interview dans Le Parisien