« Monsieur le Président de la République, on ne touche à la constitution que d’une main doublement tremblante ! »
Les Français ont toujours eu une certaine appétence au changement, au mouvement, au progrès. Ainsi, rédiger une nouvelle Constitution ou modifier l’existante n’est pas un obstacle insurmontable lorsqu’on sait que la Vème République a été marquée par vingt-quatre révisions depuis sa création en 1958. A titre illustratif, faut-il rappeler que des sept Présidents qui ont dirigé les destinées de notre pays, seuls Georges Pompidou et François Hollande n’ont pas réussi cet exercice coutumier, et ce pour des raisons aussi diverses que diversifiées.
Le Président Emmanuel Macron ne déroge pas à cette pratique et cède à l’ivresse constituante propre à la France. En réponse aux ambitions de la Convention citoyenne, particulièrement à l’approche des futures élections présidentielles, il est proposé d’introduire un nouvel alinéa à l’article 1er. Cette révision de notre loi fondamentale vise à y intégrer que « la République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique ».
Cette frénésie vient sans doute contrarier la vision de Montesquieu qui nous mettait déjà en garde sur les conséquences insidieuses voire dangereuses de modifications incessantes et peu réfléchies du cadre législatif. Dans les Lettres Persanes, écrit dès 1721, soit il y a 300 ans, il précisait qu’il « est quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare ; et lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante ». C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de modifier notre loi fondamentale.
Politiquement, à plus forte raison symboliquement, cette proposition de révision constitutionnelle pourrait justifier son utilité par l’urgence d’adapter notre spectre normatif aux enjeux de demain, comme celui de la défense de l’Environnement. Si le symbole est souvent essentiel, il n’en demeure pas moins que sans effectivité pratique, il ne mène pas au progrès mais à l’immobilité, à l’inertie. Alors, nous interrogeons le gouvernement sur l’impérieuse nécessité d’adopter ce texte et plus spécifiquement sur la pertinence de toucher à notre loi fondamentale au regard du droit existant et des garanties déjà présentes.
Premier constat et non des moindres, les rédacteurs de ce projet de loi constitutionnelle n’ont pas pris pleinement conscience qu’ils ne se trouvaient plus devant une page blanche. La partition est déjà écrite pour l’essentiel à travers la Charte de l’Environnement de 2004 et les combats sur le terrain du droit international ou du droit communautaire n’ont cessé de donner les moyens juridiques aux citoyens de se faire entendre des pouvoirs publics sur la question. Les Constituants de 1789 ou de 1946 avaient le champ libre ; les auteurs du projet de modification de l’article 1er l’auraient eu également s’ils avaient eu à faire l’exercice vingt ans plus tôt. Comble-t-on le retard par le vide ? Nous ne le croyons pas et préférons concentrer nos efforts à faire respecter ce qui est bien, plutôt qu’à débattre de ce qui ne serait sûrement pas mieux.
Rappelons un instant le contexte dans lequel la Charte de l’Environnement fut pensée, élaborée, et rédigée. Faisant suite à la phrase, désormais célèbre, du Président Chirac selon laquelle « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », la commission chargée d’animer les réflexions a mené des travaux denses pour aboutir à la rédaction de la Charte de l’environnement. Lorsque l’on se reporte au compte-rendu intégral des débats de l’époque, on peut affirmer que ce fut un véritable bouillonnement rédactionnel d’une rare intensité, d’une grande intelligence.
Au-delà des échanges nourris sur le fond, la commission Coppens s’était d’ailleurs largement interrogée sur la forme que devait revêtir l’introduction de ce nouveau droit fondamental que représente la préservation de l’environnement. Trois formes possibles avaient été identifiées. La première hypothèse proposait que le texte de la Charte soit compris comme l’exposé des motifs de la loi constitutionnelle nécessaire à l’inscription dans la Constitution d’un droit à un environnement sain et du devoir d’en assurer la protection. Dépourvue de caractère normatif, sa portée se serait dès lors résumée à une simple déclaration d’intention, largement en deçà de la volonté politique de l’époque.
La deuxième hypothèse privilégiait de passer par l’adoption d’une loi organique, devant se reporter aux droits et devoirs en matière d’environnement. La commission n’a finalement pas retenu cette option, « considérant qu’une mention constitutionnelle réduite, complétée par une loi organique perdrait de sa lisibilité ».
Enfin, la troisième hypothèse consistait à élaborer une Charte de l’environnement ayant pleine valeur constitutionnelle, sous la forme d’un texte placé au sein du préambule de la Constitution de 1958, c’est-à-dire au même niveau que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ou du préambule de la Constitution de 1946.
Le fait que la Charte ait été « adossée » à la Constitution par sa mention dans le Préambule, lui permet de revêtir la même valeur que les articles de la Constitution eux-mêmes. C’est donc cette option qui a finalement été retenue, étant considérée comme la plus lisible mais aussi la plus ambitieuse. Ambitieuse car cela permet de hisser les droits environnementaux au même rang que les droits de l’homme et les droits économiques et sociaux, consacrant ainsi ce que certains considèrent comme étant la « troisième étape du pacte républicain ».
Ainsi, la Charte adoptée définitivement par le Parlement en 2004 est introduite en 2005 dans le bloc de constitutionnalité, se retrouvant ainsi au sommet de la hiérarchie des normes, à hauteur des attentes de nos concitoyens. Elle se présente comme l’affirmation de droits mais aussi de devoirs. Si l’expression de devoirs a pu heurter quelques sensibilités à l’époque, comment peut-on affirmer de nouveaux droits sans imposer de devoirs nouveaux ?
La liste des droits et devoirs reconnus par la Charte est assez exhaustive, donc lisible et ainsi effective : on y retrouve le droit à l’environnement, le devoir de « prendre part » à sa préservation, l’obligation de prévention, l’affirmation de la responsabilité environnementale, le principe de précaution, l’intégration de l’environnement dans les politiques publiques ou encore le droit à l’information et à la participation.
Présentée en seulement dix articles, ces dispositions constituent pour l’essentiel des objectifs à valeur constitutionnelle ayant une portée précise et venant limiter la mise en œuvre d’autres libertés ou droits. Les juges constitutionnel et administratif pouvant désormais vérifier que le législateur ou les autorités règlementaires poursuivent bien les objectifs prévus dans cette charte dans le cadre de leurs travaux respectifs.
A cet effet, l’impératif de promotion d’un développement durable dans les politiques publiques s’apprécie à travers la jurisprudence du Conseil constitutionnel au regard d’un principe de conciliation entre objectifs environnementaux et objectifs économiques et sociaux. L’environnement est un patrimoine commun ce qui infère la possibilité au législateur d’en faire la promotion voire le devoir ou d’en promouvoir la protection sur l’ensemble de la planète. Dès 1971, le Conseil Constitutionnel dans sa décision « liberté d’association » a énoncé que tout texte inscrit dans le Préambule de la constitution est un texte de portée constitutionnelle pouvant recevoir des effets normatifs. Pour cette raison, certaines dispositions de la Charte de l’environnement peuvent être invoquées à l’appui d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité, notamment celles prévues aux articles 1, 2, 3, 4, 7 de la Charte.
La Charte de l’Environnement reçoit ainsi des effets normatifs, et ne peut être considérée comme un simple document programmatique ou symbolique comme l’a encore confirmé récemment le Conseil d’État.
Face à ce constat, on peut dès lors s’interroger sur l’apport de l’inscription de la préservation de l’environnement, de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique dans l’article 1er de la Constitution. On reproche souvent le caractère redondant de cette révision avec les dispositions actuelles intégrées dans la Charte, ou encore sa récurrence eu égard à la référence faite à la Charte dans le Préambule de la Constitution. Mais il nous faut aller plus loin dans l’analyse.
Le poids accordé aux questions environnementales est légitime, compréhensible et louable. Aurions-nous préféré qu’il ne soit pas uniquement motivé par des ambitions électoralistes mais par une véritable volonté de faire croître les moyens donnés pour lutter contre la mise à mort de notre planète terre. « La patience est notre plus grande vertu, c’est notre drame aussi », par ces mots, Léo Ferré, poète et libertaire, nous enseignait déjà la menace d’une action irréfléchie et prompte.
Outre la nécessité de cette révision, la question de l’articulation entre les dispositions de la Charte de l’environnement et les autres libertés et droits reconnus constitutionnellement doit être nécessairement soulevée.
Notre système constitutionnel reposant sur un triptyque : Droits de l’homme, souveraineté et protection de l’environnement. En ce sens, n’aurait-il pas été préférable de modifier la Charte de l’environnement afin d’y introduire ces nouvelles dispositions puisque les droits et devoirs énumérés sont d’ores et déjà placés au même rang que les droits de l’homme et le principe de souveraineté dans le préambule de la Constitution,
Pour éviter une révision superflue, l’autre solution pour assurer une cohérence et conciliation des textes aurait été de préciser sous forme de renvoi que les objectifs environnementaux devaient être poursuivis dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement.
Enfin, l’emploi du verbe « garantir » déjà employé à plusieurs reprises dans la Constitution afin de mettre en exergue l’existence de droits ou principes fondamentaux, interroge également. Ce terme présente incontestablement des effets assez variables selon le principe auquel il se rattache : il peut renvoyer à un droit lorsqu’on évoque l’égalité entre les hommes et les femmes, ou à un simple objectif constitutionnel dès lors qu’il s’agit du domaine de la santé ou de l’emploi. Ce qui peut introduire un certain désordre dans le système normatif.
Le verbe « garantir » pris en son sens propre est-il approprié en l’espèce ? Cette sémantique dérange et questionne. Comment la France peut-elle à elle seule « garantir » la protection d’un environnement commun à l’humanité ? Tout au plus, notre pays peut avoir la volonté sincère de s’engager à œuvrer dans ce sens. De ce point de vue, l’utilisation de ce verbe qui revêt une obligation de résultat parait excessivement contraignante pour ne pas dire impossible à tenir. Cela aurait pour conséquence d’introduire de nouvelles obligations pour les pouvoirs publics qui pourraient, selon la rédaction actuelle, ralentir voire stopper complètement des projets pourtant nécessaires au développement économique des collectivités. Cette rédaction se matérialisant alors par une obligation d’agir dans un sens déterminé et probablement avec des moyens proportionnés et considérés comme efficaces.
C’est un des effets induits de ce texte qui, par sa nature programmatique et par le caractère ambigu du verbe « garantir », opère un transfert de compétence au Juge. Ce dernier devra aussi régler par son appréciation le problème criant de cohérence qui se pose entre hiérarchisation et conciliation de ces principes fondamentaux, et notamment la compatibilité entre l’article 1er nouvellement réécrit et l’article 6 de la Charte de l’environnement qui impose une prise en considération égale de protection de l’environnement, du développement économique et du progrès social. Le renforcement du pouvoir normatif du Juge, le poids croissant de l’autorité judiciaire qui outrepasse parfois sa fonction première d’être la bouche de la loi est souvent critiqué sous le prisme de la remise en cause de la séparation et l’équilibre des pouvoirs, concepts chers à Montesquieu. En l’espèce, ce renforcement est l’œuvre du pouvoir législatif lui-même.
In fine, l’insuffisance de clarté, l’ambiguïté voire l’absence de cohérence, de consistance du texte constitutionnel proposé est source d’insécurité juridique ouvrant la voie à une kyrielle d’actions contentieuses qui vont s’étaler sur de nombreuses années. L’utilité d’une telle révision apparait dès lors fort discutable. Pire, cette proposition rédactionnelle de l’article 1er semble plus préjudiciable que constructive. La constitutionnalisation de la Charte de l’environnement a mise en lumière le rôle de conciliateur du législateur. L’élévation des droits environnementaux au rang constitutionnel a eu pour conséquence évidente de limiter d’autres droits, menant législateur et juges à chercher et trouver une stabilité juridique dorénavant solide. Aussi, il est de la responsabilité du législateur d’établir un équilibre et il appartient au juge de veiller au bon respect de cet équilibre. A travers cette révision, le risque de faire prévaloir la protection de l’environnement sur tout autre droit et liberté par la hiérarchisation des principes, conduirait inexorablement à une certaine forme de paralysie des pouvoirs publics qui, dans certaines situations d’urgence (telle la crise sanitaire que nous traversons actuellement) peuvent être amenés, à prendre des mesures qui temporairement et de manière limitée porte atteinte à l’environnement.
Et si la solution la plus sage résidait simplement dans le fait de renoncer à modifier notre loi fondamentale au vu des effets néfastes qu’une telle révision entrainerait ?
Alexandra Borchio-Fontimp
Secrétaire adjointe déléguée
Sénatrice des Alpes-Maritimes
Stéphane Le Rudulier
Sénateur des Bouches-du-Rhône