Patriotisme économique, ministère de la Réindustrialisation et relocalisations : Bruno Retailleau, sénateur de la Vendée détaille le « plan de rebond » des sénateurs Les Républicains, après la crise du Covid 19. Il plaide également pour « une fiscalité ‘bleu, blanc, rouge » pour relancer la compétitivité des entreprises françaises. « Le repli n’est pas français, assure le président des sénateurs LR. Il faut avoir l’esprit de conquête et affronter la concurrence ». Bruno Retailleau fustige les « tartuffes qui vantent la souveraineté française alors qu’ils l’ont bradée ».
Vous proposez, avec les sénateurs LR, un « plan de rebond », dans lequel vous plaidez pour une « nouvelle souveraineté ». Est ce la priorité ?
La souveraineté est un antidote au décrochage économique qui nous menace, comme à notre fatigue démocratique. Les Français ne croient plus ceux qui les gouvernent, parce qu’ils pensent qu’ils ne les écoutent pas ou qu’ils ne contrôlent plus rien. La crise sanitaire l’a montré : nous ne maîtrisons plus notre destin parce que nous sommes dépendants d’autres nations. Si on n’aborde pas ce sujet, les centaines de milliards d’euros dépensés dans les plans de relance français et européen seront des coups d’épée dans l’eau. Ils serviront à relancer l’emploi non pas en France, mais en Chine. C’est pour ça qu’un plan de rebond doit comporter des mesures de relance et un choc de compétitivité, mais aussi des instruments pour mieux nous protéger.
En avril, Macron avait justement affirmé sa volonté de « rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique »…
Je dénonce les tartuffes qui vantent la souveraineté française alors qu’ils l’ont bradée. Qui peut croire que ceux qui ont vendu Alstom aux Américains, les Chantiers de l’Atlantique aux Italiens, qui ont voté le Ceta [traité de libre échange entre l’UE et le Canada] à l’Assemblée vont incarner le patriotisme économique et la relocalisation en France ? Que ceux qui ont refusé de fermer les frontières au plus fort de l’épidémie vont restaurer la souveraineté française ? Ces tête à queue idéologiques donnent le tournis! Le monde qui est en train de s’écrouler, c’est le leur, celui de la mondialisation heureuse, où on nous a demandé de nous démettre de notre souveraineté pour s’en remettre au seul marché. Aujourd’hui, le souverainisme est à la mode. Il l’était moins quand je me suis battu contre la vente des Chantiers de l’Atlantique, la privatisation d’ADP, ou quand j’ai voté contre le traité de Lisbonne.
Vous voulez relocaliser des activités. Comment ?
Pour réarmer la France, il lui faut un glaive et un bouclier. Le glaive, c’est la compétitivité. C’est pour ça qu’il faut augmenter le temps de travail, réduire les impôts de production, supprimer la C3S [contribution sociale de solidarité des sociétés] et les charges patronales au delà de 1,6 fois le smic. Je propose aussi une fiscalité « bleu, blanc, rouge » : une entreprise qui relocaliserait bénéficierait pendant cinq ans de 50% de dégrèvement de ses cotisations et de 100% s’il s’agit d’un secteur stratégique. Nous avons aussi besoin d’un ministre de la Réindustrialisation économique à plein temps, distinct du ministre des Finances ou des Comptes publics.
Patriotisme économique, ministre de la Réindustrialisation… On croirait entendre Arnaud Montebourg ! Vous n’êtes plus libéral ?
La liberté et la compétition sont nécessaires. Mais je veux que cette dernière soit loyale. Le repli n’est pas français. Il faut avoir l’esprit de conquête et affronter la concurrence. On ne relocalisera pas avec la fiscalité la plus élevée d’Europe, car c’est donner des semelles de plomb à nos entreprises. Dès lors, plutôt que de distribuer de l’argent public, baissons les impôts et les charges. Et parce que la compétitivité, c’est aussi l’innovation, créons un crédit d’impôt sur l’investissement industriel et la transformation numérique.
Quid du « bouclier » ?
Nous devons protéger nos entreprises stratégiques contre les prédateurs. Il faut renforcer le contrôle des investissements étrangers, en abaissant de façon permanente à 10% le seuil de détention des droits de vote dans une entreprise française déclenchant la procédure de leur autorisation préalable pour les secteurs stratégiques. Créons aussi un fonds souverain consacré à la protection de nos entreprises stratégiques, qui serait abondé par l’épargne des Français. Et il faut de toute urgence changer le logiciel européen.
Pourquoi ?
Que faisait l’Europe pendant la crise sanitaire ? Elle négociait un accord agricole avec le Mexique… Et la Commission va proposer de réduire de 10% la surface agricole en Europe. Dans un secteur stratégique – l’alimentation –, on va délocaliser notre surface de production pour importer davantage de produits étrangers, à grand renfort d’empreinte carbone et en désespérant nos agriculteurs. On marche sur la tête! Je demande un sommet européen extraordinaire. On aura beau multiplier les milliards pour la relance, si on ne change pas la doxa de la concurrence pure et parfaite, ce sera le tonneau des Danaïdes. Nous devons nous appuyer désormais sur un principe fondateur, la préférence européenne, et exiger la réciprocité dans nos échanges. La nouvelle doctrine de la concurrence devra aussi être favorable à la constitution de champions européens. Et instaurons un « Buy European Act », pour que les commandes publiques profitent aux entreprises européennes, sur le modèle de ce qui existe déjà aux Etats Unis, au Canada ou au Japon.
Comment reconstruire une « souveraineté sanitaire » ?
En 2018, l’Agence nationale du médicament a signalé vingt fois plus de situations de pénurie de médicaments que dix ans auparavant. C’était bien avant la crise. Qu’avons nous fait ? Rien. Nous proposons une relocalisation de la production de médicaments à l’échelle européenne. Pour ça, dès lors qu’un produit figurerait sur une liste de médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique (Miss) et qu’il pourrait être fabriqué en Europe, les produits équivalents fabriqués hors de l’UE ne seraient plus remboursés par la Sécurité sociale. Cette préférence européenne l’emporterait aussi dans les appels d’offres des hôpitaux.
Préférence européenne et réciprocité, est ce réaliste ?
Aujourd’hui, oui, parce que la mondialisation est en train de se reconfigurer. La réciprocité, c’est dire aux nations du monde que désormais l’Europe refuse de se faire plumer. Et puisque nous défendons l’excellence écologique, appuyons nous sur notre puissance commerciale : 450 millions de consommateurs au pouvoir d’achat élevé. Je propose de créer une frontière verte en reprenant l’idée du Prix Nobel d’économie William Nordhaus d’un « club climatique » : il faut dire aux autres pays que, s’ils veulent vendre des marchandises sur ce marché exceptionnel, ils doivent respecter l’accord de Paris. Sinon, nous les taxerons.